Salut à tous,
Je vous propose en relais, un article qui, je pense, se suffit à lui même :
[...] Aujourd' hui, le combat pour la protection des données personnelles se positionne sur un nouveau front. Celui de la surveillance avec, pour corollaire, le sujet épineux de la reconnaissance faciale. Les questions sociétales soulevées par un monde où les faits et gestes de chacune sont répertoriés, gravés dans le marbre, sont vertigineuses.
Pourtant, nombreux sont celles et ceux qui, mis face à ces défis, répliquent encore qu'ils n'ont « rien à cacher ». Comme si ce bouclier était impénétrable, et que ce deal « service contre données » était équitable.
Rien à cacher, vraiment ?« Lorsque vous dites « le droit à la vie privée ne me préoccupe pas, parce que je n'ai rien à cacher », cela ne fait aucune différence avec le fait de dire « Je me moque du droit à la liberté d'expression parce que je n'ai rien à dire », ou « de la liberté de la presse parce que je n'ai rien à écrire » ». Cette citation d'Edward Snowden, l'ex-analyste-lanceur d'alerte de la NSA qui, en 2013, a révélé la tentaculaire entreprise de surveillance mondiale du gouvernement américain, est sans doute de celles qui synthétisent le mieux le problème. Mais elle est incomplète. Lors de ses allocutions, il n'est pas rare qu'Edward Snowden ajoute combien cette posture est révélatrice d'un profond égoïsme. « Même si vous n'utilisez pas vos droits aujourd'hui, d'autres en ont besoin », complète le lanceur d'alerte.
« Dire que vos droits ne vous intéressent pas parce que vous n'en faites pas l'usage est la chose la plus asociale que vous puissiez dire. Cela revient à dire « les autres ne m'intéressent pas » ». Et Edward Snowden de conclure en assénant une vérité qui mérite d'être énoncée : si vous êtes un homme, blanc, aisé, bref que vous vous situez à la cime de la pyramide sociale, alors oui ; il est probable que les problématiques liées à la confidentialité des données ne vous touchent pas au cœur.
La surveillance est l'instrument des inégalitésParmi les problèmes posés par la collecte massive de données et la surveillance généralisée qui en découle, celui du creusement des inégalités est majeur. Les minorités, quelles qu'elles soient, seront toujours les grandes perdantes de cette société du contrôle qui se profile.
Prenons l'exemple de Rakem Balogun. Cet activiste afro-américain, révolté par les dérapages à répétition des forces de police de son pays à l'encontre des membres de sa communauté, a commencé à se mobiliser. Le matin du 12 décembre 2017, Rakem Balogun et son fils de 15 ans ont été expulsés de leur domicile manu militari par le FBI, qui le soupçonnait de fomenter des actes terroristes. Ce n'est qu'après cinq mois de détention — qui lui ont coûté son domicile — que l'homme a appris que le FBI monitorait depuis des mois son compte Facebook. Un réseau social où l'homme a eu le malheur d'exprimer son soutien à Micah Johnson, un Afro-Américain qui a tué de sang-froid cinq policiers à Dallas en 2016, et en a blessé neuf autres avant d'être abattu par les forces de l'ordre. Sa liberté d'expression — maladroitement utilisée, certes — lui aura coûté cinq mois d'emprisonnement.
Une affaire évidemment exacerbée par les tensions raciales qui émaillent le paysage américain, mais qui est finalement révélatrice des injustices induites par la surveillance de masse.
Rakem Balogun reste ainsi dans les annales comme le premier Américain à être étiqueté « Black Identity Extremist » — une nouvelle étiquette tombée de la branche du programme COINTELPRO, qui avait notoirement surveillé Martin Luther King dans les années 60... Remarquez comme le terme ne se limite pas à identifier les « extrémistes » en général, mais bien les « extrémistes » noirs. Pourtant, comme le résume fort bien
The Guardian, les suprémacistes blancs seraient responsables de 75% des tueries de masse perpétrées sur le sol américain depuis 2001.
Sur un registre différent, comment ne pas mentionner la Chine, qui a fait de la surveillance de masse un véritable outil d'oppression à l'encontre de la communauté ouïgoure de l'ouest du pays ? Traqués en permanence par le gouvernement via une myriade d'applications-complices, les individus « à risque » (autrement dit : dissidents politiques ou musulmans) sont ensuite envoyés dans des « camps de redressement » que Pékin se refuse encore à appeler comme tel.
https://youtu.be/IKMwFmv9BdUUn autre exemple mérite d'être cité. Après les attentats terroristes commis à Paris en novembre 2015 et l'instauration de l'État d'urgence, toute manifestation contre la COP 21 devant se tenir dans la capitale a été interdite. Une décision sécuritaire louable, qui s'est pourtant accompagnée de mesures disproportionnées... à l'encontre de militants écologistes. 24 ont été assignés à résidence à Paris, dont Joël Domenjoud, responsable légal de la coalition associative, qui raconte avoir été la cible d'une surveillance physique et numérique pendant plusieurs années.
Interrogé par le journaliste Marc Meillassoux pour son documentaire « Nothing to Hide », l'écologiste raconte que, bien qu'aucune accusation n'a jamais été retenue contre lui, la police compilait au sein d'une « note blanche » les observations des agents de terrain à son propos. Une archive qui conclut dans son cas qu'il « participe activement, depuis plusieurs années, aux actions menées contre la représentation de l'État ». Une formulation volontairement élusive, qui suffit néanmoins à justifier ces méthodes de surveillance auprès d'un juge.
Ceci n'est pas de la science-fictionPeut-être n'êtes-vous pas un militant ou un activiste. Peut-être ne faites-vous pas un usage extensif de votre liberté d'expression ou n'êtes pas en profond désaccord avec le gouvernement. Mais qu'arrivera-t-il si un jour cela change ?
Les questions environnementales devenant de plus en plus prégnantes en ce début de décennie, peut-être vous mobiliserez-vous lors de manifestations futures, ou rejoindrez des associations œuvrant dans la lutte contre le réchauffement climatique.
De manière plus intime encore, peut-être déciderez-vous demain d'entamer une transition de genre et vous renseignerez-vous à ce sujet sur Internet. Ou encore que, comme plus de 215 000 femmes tous les ans en France, vous déciderez d'interrompre une grossesse.
Alors que se passe-t-il, dans cette variété de cas, si du jour au lendemain votre gouvernement décide que ces pratiques sont illicites ? Et que votre sympathie à l'égard de certains mouvements, les renseignements que vous aurez pu chercher sur Internet ou les endroits où vous aurez passé du temps pourront se retourner contre vous ? La question reste en suspens. Les données, elles, attendent sagement d'être utilisées.
Il ne faut pas se méprendre : la surveillance n'est pas toujours synonyme de répression. Son incidence la plus directe réside davantage dans le contrôle ; la manipulation. Si le scandale Cambridge Analytica nous a bien appris une chose, c'est que les algorithmes connaissent mieux nos opinions politiques que nous-mêmes. Et que ces données, mises entre des mains puissantes, sont sinon la meilleure façon d'accéder au pouvoir, le plus grand ennemi de la démocratie.
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