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Auteur Sujet: Publication du Monde "Il faut enseigner le logiciel libre en France" 18.10.2012  (Lu 2910 fois)

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Il faut enseigner le logiciel libre en France

Presque tous les aspects de notre vie dépendent directement ou indirectement d'une multitude de logiciels, et une grande partie de ces logiciels sont aujourd'hui des logiciels libres.

Alors que, par une circulaire du premier ministre Jean-Marc Ayrault, le gouvernement vient d'affirmer l'importance du logiciel libre dans les systèmes d'information de l'Etat et affiche une politique volontariste pour en accompagner l'utilisation, nous croyons indispensable d'intégrer l'étude des logiciels libres dans la formation des futurs ingénieurs. Pour la grande valeur pédagogique des logiciels dont le code source est disponible, pour les valeurs éthiques de partage qui les mettent en adéquation avec les missions de l'enseignement public, mais, plus encore, parce que les logiciels libres forment désormais la base de l'informatique moderne.

L'informatique en pleine évolution

Le centre de gravité de l'informatique s'est déplacé au cours des dix dernières années. On passe progressivement de l'ère des ordinateurs individuels à celle de l'après-PC : navigateurs Web et objets communicants - smartphones, tablettes - donnent accès aux ressources de millions de serveurs qui constituent le "cloud".

Or l'immense majorité des systèmes d'exploitation, langages et outils de programmation utilisés depuis plus de dix ans pour développer les services des géants du Web mondial comme Google, Facebook ou Twitter, mais aussi des start-up, petites ou grandes, sont des logiciels libres. Il en va de même pour une grande partie des briques logicielles embarquées dans les objets qui nous entourent, des téléphones aux tablettes, des "box" des fournisseurs d'accès à Internet au système nerveux de nos automobiles.

Le logiciel libre est au coeur des technologies qui accompagnent cette nouvelle ère, et il a joué un rôle pionnier dans l'émergence des modes de collaboration qui s'imposent aujourd'hui comme des gisements de productivité et d'innovation pour l'ensemble de l'industrie et des services : l'innovation ouverte, qui implique le partage et la collaboration des entreprises avec des partenaires externes ; les wikis et les réseaux sociaux d'entreprise, qui décloisonnent l'entreprise traditionnelle ; le développement "agile", qui permet d'accélérer la mise sur le marché de produits mieux adaptés aux besoins.

Assurer en France une bonne connaissance des logiciels libres et une présence forte dans les projets libres les plus importants est un enjeu majeur pour maintenir la position française dans ce domaine stratégique. Si l'on veut que davantage de jeunes geeks français lancent leurs entreprises sur le Net, que la France tienne une place plus grande dans la (plus si) nouvelle économie et, plus largement, dans l'industrie informatique, il est indispensable que le système éducatif leur apprenne à manipuler cette nouvelle matière première de l'informatique que sont les logiciels libres ou open source.

Le besoin d'une formation adaptée

L'écosystème du logiciel libre est le premier à avoir montré qu'il était possible de fédérer le travail de communautés de plusieurs dizaines à plusieurs milliers de développeurs répartis dans le monde entier, sans autre moyen de communication que l'Internet et des outils de collaboration nouveaux, pour réaliser des logiciels de qualité industrielle, dont beaucoup sont devenus des standards.

C'est en enseignant les programmes et les technologies du logiciel libre, mais aussi en associant les étudiants à son développement selon les modes d'organisation et de collaboration qui lui sont propres que l'on formera les jeunes ingénieurs à ces méthodes collaboratives, à ces approches ouvertes. Au-delà même de la sphère informatique, ces savoirs seront la clé de la compétitivité de nos entreprises au XXIe siècle.

Enseigner le logiciel libre nécessite un effort spécifique : il ne suffit pas d'utiliser des logiciels libres à la place de logiciels propriétaires, il faut expliquer les mécanismes employés pour permettre à des centaines de programmeurs éparpillés sur la planète de coopérer de façon cohérente sur des logiciels de plusieurs millions de lignes de code ; on doit apprendre les notions juridiques, organisationnelles et économiques qui sont à la base de l'écosystème du logiciel libre. Il convient aussi de mettre en contact les étudiants avec les communautés de développeurs.

Pour cela, il faut un effort pédagogique important, qui doit être soutenu par des mesures incitatives et non plus laissé simplement à la bonne volonté de quelques précurseurs.

On doit aussi encourager la recherche qui se développe autour des logiciels libres et fournit des outils nouveaux pour accompagner leur essor.

Un gisement d'emplois futurs

Le logiciel libre porte des valeurs humanistes fortes, en considérant que le logiciel doit faire partie du patrimoine de connaissances de l'humanité, un bien commun qu'il convient de cultiver en commun.

Mais le logiciel libre est aussi au coeur d'une activité industrielle importante, encore souvent méconnue. Selon les études du cabinet Pierre Audoin Consultants, cette économie représente un chiffre d'affaires de 2,5 milliards d'euros en France, soit environ 30 000 emplois locaux. Le dynamisme de ce secteur, 30 % de croissance par an, signifie aussi un important gisement d'emplois futurs qui ont du mal à être pourvus par le système éducatif actuel, pour qui les développements logiciels sont encore perçus comme une voie inférieure.

Voilà une raison supplémentaire pour enseigner davantage le logiciel libre aux futurs jeunes diplômés : ils s'assurent des débouchés dans un secteur de pointe au dynamisme exceptionnel. Et il ne s'agit pas seulement des quelques centaines de sociétés spécialisées dans le logiciel libre en France puisque, selon une étude menée auprès de plus de 500 entreprises dans onze pays, plus de la moitié d'entre elles ont intégré le logiciel libre et open source à leur stratégie en matière de système d'information.

Ces entreprises ont besoin de compétences : il est important qu'elles les trouvent en France.


Patrice Bertrand,

Président du Conseil national du logiciel libre (CNLL),

Président de l'Open World Forum 2012, fondateur et directeur général de Smile.

Roberto Di Cosmo,

Professeur d'informatique à l'université Paris-Diderot,

Directeur de l'Initiative pour la recherche et l'innovation sur le logiciel libre (Irill).

Stéfane Fermigier,

Président du Groupe thématique logiciel libre du pôle de compétitivité Systematic Paris-Region,

Fondateur de Nuxeo et de Fluenzo.


Source : http://www.lemonde.fr/sciences/article/2012/10/18/il-faut-enseigner-le-logiciel-libre-en-france_1777703_1650684.html

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 18.10.2012 à 16h10
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