Au fait ...c'est quoi les vieilles charrues ?
A l'origine
Festival des Vieilles Charrues 1994
Tout a donc commencé par une kermesse au bord de l’eau, avec très peu de musique et beaucoup de bonne franquette, des grillades (de bison, tout de même !) et des jeux incroyables, tels le lancer de botte (« gauche, pointure 42 ») ou l’inévitable « tirer de charrues ». Organisée à Landeleau, près de Carhaix, la première mouture réunit quelque 500 convives, principalement des potes de potes. Un succès tel qu’il est décidé l’année suivante de réitérer l’expérience et d’ouvrir à un public plus large, d’inviter des fanfares et même d’enfoncer le clou côté parallèle brestois : un port est reconstitué en eau douce, avec son phare et son café. 2000 personnes y accostent. Plus question de s’arrêter ! Les copains et les parents viennent prêter main forte pour la logistique. En 94, le thème choisi, clin d’oeil à la situation économique préoccupante du Centre Bretagne, est le désert. En plus des animations, pour la première fois, un concert « digne de ce nom » (avec scène et sono) est organisé. 5000 personnes se pressent dans l’oasis pour profi ter d’une journée dépaysante (courses de chameaux !) et applaudir, entre autres, Dolly & Co ou les Satellites. Le succès est énorme et l’association, un peu dépassée par les événements, songe qu’il faudrait peut être, pour la prochaine fois, penser à prendre une sécurité (faute d’avoir eu l’idée plus tôt, le programmateur sera obligé de dormir toute la nuit sur la scène pour surveiller le matériel !). Il devient risqué d’avoir autant de monde au bord de l’eau, le site semble soudain exigu...
Conclusion : il faut déménager.
Champ de foire
La municipalité de Carhaix, toute proche, propose alors son champ de foire en plein centre ville. Bien sympa tout ça, mais pour le " tirer de charrues ", le bitume ça va pas le faire. Il est donc impératif de trouver de nouvelles " attractions ". La musique, jusque là simple ingrédient de la fête, débarque en force : 3 jours de concerts sont programmés et pas des moindres. Après le choix d’un nom irrévérencieux, une nouvelle exigence se dessine, utopiste de premier abord, toujours dans l’auto-dérision et teintée d’un zeste de provocation malicieuse : "pourquoi toujours devoir faire des bornes pour aller voir les stars, désormais elles viendront à nous ! ". La kermesse se réoriente clairement festival et une poignée de rescapés d’un autre festival Breton, Tamaris (qui fit les beaux jours de Carantec et de Morlaix) vient prêter main forte à l’équipe des débuts. D'ores et déjà l’éclectisme prévaut. Il en faut pour tous les goûts, toutes les générations et toutes les bourses : Blues Brothers, Silencers, Ar Re Yaouank la première édition urbaine, en 95, offre une douzaine d’artistes pour 30 francs la soirée. Le succès est de nouveau au rendez-vous et l’affiche grossit encore l’année suivante (Lavilliers, Le forestier, Franck Black, Zebda ou Miossec). Là où ça commence néanmoins à ricaner un brin chez les mauvaises langues, c’est en 97 avec 11 groupes ou chanteurs annoncés (Nougaro, Birkin, LKJ, Simple Minds) et James Brown en tête d’affiche. Mr Dynamite himself à Carhaix ? Ça en laisse plus d’un incrédule. Et pourtant si, il viendra ! Et cette édition explosive aura un tel retentissement que le festival devra de nouveau déménager.
Retour aux champs
En 98, le site de Kerampuilh, avec sa forme d’amphithéâtre naturel et ses nombreux hectares de champs en périphérie de Carhaix, s’impose de lui même comme le décor idéal. Durant un mois, en amont du festival, une véritable ville y voit le jour, avec ses quartiers, ses règles de vie et ses kilomètres de câbles et de tuyaux, pour la bière notamment (un étonnant système de pipe line qui permet de ravitailler les différents bars répartis sur le site). Tout prend de l’ampleur soudain ! D’édition en édition, plusieurs formules sont testées jusqu’à trouver l’équilibre actuel : deux scènes principales où alternent les concerts, une scène en parallèle, dédiée le soir aux musiques électroniques et dans l’après midi aux finalistes des « Jeunes Charrues », un champ entier ouvert aux arts de la rue et un vaste chapiteau pour accueillir les musiques bretonnes (on y verra même naître la première compétition d’Air Biniou !). Après avoir hésité entre 3 ou 4 jours de festival, les laboureurs ont fi ni par se prononcer pour l’option la plus longue en ouvrant la grande scène dès le jeudi soir. Une formule éprouvée depuis la venue de Johnny Hallyday qui permet de sortir du cadre horaire plus strict des autres journées (libre ainsi au Boss cette année de jouer 3h d’affilées si le coeur lui en dit !).
Avec ce retour à la verdure et le développement d’un camping gratuit, un nouveau rituel s’instaure : à la joie de venir faire la fête entre potes, s’ajoute le plaisir de pouvoir rester plongés dans l’univers du festival 4 jours durant, sans avoir à quitter le site. L’aventure attire bien sûr une majorité de 18/25 ans mais on voit aussi des familles entières, toutes générations confondues, comme aux premiers jours. Au fil du temps, l’ambiance bon enfant et l’affiche éclectique des Vieilles Charrues ont réussi à séduire toutes les populations. Chacun y trouve son compte. Les tribus au look chamarré et des retraités paisibles, cohabitent avec le même sourire devant, par exemple, un Pierre Perret médusé. En une journée le site accueille autant de spectateurs que le champ de foire en trois jours : 50 000 personnes (la jauge idéale pour laisser au public un certain confort, une volonté du festival). Côté organisation, de nombreux professionnels sont à l’oeuvre ainsi qu’une légion de bénévoles fidèles au poste : buvettes, restauration, consignes, billetterie, campings, nettoyage, accueil artistes... Ces « laboureurs » de la première heure, d’année en année, sont passés d’une centaine à plus de 5200.
Vivre ici
Et l’esprit initial ? Il est toujours là. Transcendé. Du défi consistant à faire venir les plus grandes stars, en passant par l’exercice réussi de permettre au plus grand nombre de situer Carhaix sur une carte, on en est arrivé peu à peu à plus fort encore : relancer une dynamique économique, se donner les moyens de rester vivre en Centre Bretagne. En dehors du festival, l’association des Vieilles Charrues s’active à l’année, reconnue comme un indispensable laboratoire d’idées ! Si elle compte désormais 12 permanents attachés au festival, au-delà ce sont une centaine de postes équivalents temps plein qui ont été générés sur la région et autant de personnes qui ont eu l’occasion de se former ou de se professionnaliser dans les différents secteurs du spectacle vivant. Il y a les effets immédiats durant le festival pour tous les entrepreneurs des environs, les perspectives nouvelles (la création d’un centre de valorisation et de formation, l’envie de se lancer dans l’édition aux cotés de Coop Breizh…) et les retombées au quotidien (la majorité des bénévoles viennent au nom d’associations que le festival aide en retour). Mais ce n’est pas tout ! Les bénéfices, réinjectés dans la vie locale, ont permis de financer des projets structurants, contribuant à l’implantation d’un Lycée Diwan (bilingue breton/français), à rénover le château de Kerampuilh ou à faire évoluer l’espace Glenmor en salle multi-vocations.
Et les joyeux fêtards des origines avec tout ça, que sont-ils devenus ? Eux, qui à l’époque auraient pu voir ce rassemblement au bord de l’eau comme un dernier baroud d’honneur avant de devoir s’exiler pour trouver du boulot, sont 90% à avoir pu rester vivre au Pays.
Source vieillescharrues.asso.fr